Rien ne me décrit mieux que ces mots-là: raison, passion. Le côté logique, rationnel, très scientifique de ma personne vs. la sentimentalité, les émotions et le coeur sensible légués par ma mère. C'est difficile à concilier. Je n'analyse pas tout ce qui se passe, je suranalyse tout ce que je perçois et ressens. C'est fou. J'oscille continuellement entre le coeur et l'esprit, les sentiments et la rationalité, entre la passion et la raison. C'est comme avec L'Épistolier. Des fois, il dit quelque chose de craquant et je sens mon Coeur faire un petit bond dans ma poitrine. Au même moment, la Raison s'insurge et j'arrive pratiquement à entendre leur dialogue...
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La Raison plonge la main dans la poitrine, en extirpe le Coeur tout frémissant et le gifle:
- Non mais?! Ça va pas?! Qu'est-ce que tu nous fais là?! Tu accélères? Tu oses faire un soubresaut?
Le Coeur se frotte le ventricule gauche où les doigts de la Raison l'ont frappé, et réplique:
- Ben quoi?! Il était tellement cute! Qu'est-ce qu'il y a de mal à ce que je batte un petit peu plus vite?
- Qu'est-ce qu'il y a de mal?! Tu demandes qu'est-ce qu'il y a de mal?! Allô?! tu ne te souviens pas de ce qui arrive quand tu t'emballes toi? À chaque fois, c'est moi qui doit recoller tes morceaux et te remettre en état quand tout finit par finir. À grands renforts de temps supplémentaire au boulot et d'activités sociales en tous genres pour t'étourdir! Veux-tu vraiment qu'on repasse par là?
Le Coeur fixe le sol piteusement et dit tout bas:
- Pas vraiment.
La Raison échappe un soupir de soulagement. Le Coeur se redresse et ajoute rapidement:
- Mais c'est tellement bon d'être amoureux! Tu le sais! Toi aussi t'en profites. Fais pas semblant de pas te rappeler comment tu performes mieux à tous les niveaux quand on aime! Que la vie est belle, que le soleil est plus chaud et que les problèmes ont moins d'importance...
Le Coeur regarde la Raison en souriant. À contre-coeur, Elle répond:
- Je l'admets.
- Tu vois!
De joie, le Coeur sautille et se met à gambader en déclamant:
- "Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue. Un trouble se leva en mon âme éperdue; je sentis tout mon corps et transir et brûler. Je reconnus Vénus et ses feux redoutables, d'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables".
La Raison lève les yeux au ciel et dit sur un ton las:
- Et voilà qu'il nous cite Racine! C'est quoi,
Phèdre? Tantôt il va se mettre à chanter Céline Dion!
Le Coeur poursuit en se jetant à genoux devant la Raison:
- "J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime, innocente à mes yeux je m'approuve moi-même, ni que du fol amour qui trouble ma raison, ma lâche complaisance ait nourri le poison."
- Bon, ça suffit!
La Raison attrape le Coeur par une oreillette et le remet debout:
- Tu vas te calmer l'ami, tu n'aimes personne et je le sais bien! Tes petits frémissements pour L'Épistolier, ce n'est pas de l'amour.
- Pas encore! mais ça pourrait le devenir si...
- Si quoi? Si je te laissais faire? Tu nous as assez conduit aux catastrophes dans le passé, la Patronne n'en peut plus de tes frasques alors j'ai mon mot à dire maintenant! Autant que toi!
Le Coeur donne un coup de pied sur un caillou en se renfrognant:
- T'es plate! Ça fait des années qu'on n'a pas été amoureux!
- Hé! Oh! Et Dom lui? Tu l'oublies?
- Dom c'était ton oeuvre, pas la mienne. Oh! d'accord, j'ai bien fini par "l'affectionner", c'est vrai, mais l'aimer vraiment? Pfft! Jamais! Si t'avais pas été là, ça n'aurait pas dûrer plus qu'un mois. Mais toi avec tes commentaires si raaaaiiiiisonnables: "il est gentil, il a de bonnes valeurs, il veut des enfants, l'horloge biologique, il n'a pas peur de l'engagement, et gna-gna-gna, et gna-gna-gna...". Tas de conneries! La Patronne s'est acharnée pour rien et on a perdu 6 mois! Voilà pour l'Horloge Biologique! Beurk!
Le Coeur crache par terre. La Raison se met à tourner en rond. Elle s'arrête et dit:
- Pourquoi D.? Je ne comprends pas! Tu restes froid pendant des années, à part quelques petits sursauts par-ci par-là, mais rien de très dangereux. Finalement, je te crois mort ou du moins frigide et je peux respirer enfin, me concentrer sur autre chose que ta sauvegarde. Et il survient! Et voilà: Monsieur fréééémit!!! Je ne comprends pas. Explique-moi! Il est blond aux yeux bleus et nous on aime les bruns habituellement. Il aime le camping, le plein-air, fait de l'escalade, du ski même! La Patronne elle, écoute trop la télé, va au gym irrégulièrement, joue aux Sims pendant des heures pour décrocher et est terrorisée de ses roller-blades! Bref, il est actif et la Patronne... passons!
- Et? Tu crois que je me base là-dessus moi? Je m'en fous de tout ça. Il me plaît. En fait, il lui plaît à Elle!
-C'est injuste! Tu ne vois donc pas que L'Épistolier nous a "bypassé" tous les deux? Ce n'est pas par toi qu'il l'a eue ni par moi... il l'a eue par les Sens!
- Aaah! les Sens!
- Oui... les Sens!
Le Coeur et la Raison soupirent, s'arrêtent un instant et se mettent à rêvasser les yeux dans le vague... finalement, la Raison rougit violemment et se secoue:
- Oui bon! les Sens! On n'en serait pas là sans Eux!
- Pour une fois, je suis d'accord. C'est qu'Elle est sensible aux Sens, la Patronne.
- À qui le dis-tu?! Ils sont totalement hors de mon contrôle!
- Et tu crois qu'Ils m'écoutent davantage?!
Ils restent songeurs. Le Coeur s'asseoit, met ses deux oreillettes dans ses mains et dit:
- Qui va gagner alors? Toi ou moi?
La Raison s'assoit aux côtés du Coeur et l'entoure d'un bras:
- Je pense qu'on est cuits mon ami, je pense que les Sens ont déjà gagné et que toi et moi n'avons qu'à bien nous accrocher car quand c'est Eux qui mènent, le meilleur et le pire peuvent arriver...